Bio : est-ce la fin de l’eldorado ?
Dans un contexte de crise des équilibres de marché, les filières et les producteurs bio subissent des baisses de prix qui se confrontent à la hausse des charges commune à l’ensemble des entreprises françaises.
Nos experts économiques vous proposent un éclairage sur ce que vivent ces entreprises en 2023.
Eléments de contexte
Une explosion des conversions AB jusqu’en 2021
La hausse des surfaces en bio a eu pour conséquence une augmentation continue de la production bio.
Par exemple, la production de blé biologique a été multipliée par 3 entre 2019 et 2023 pour atteindre une collecte de 420 000 T à l’échelle nationale (maximum de production attendu pour les surfaces converties jusqu’en 2021 en comptant 2 ans de durée de conversion avant vente AB).
Par conséquent, les stocks de report d’une année sur l’autre ont également été multipliés par 3, passant ainsi de 47 000 t en 2019 à 120 000 t actuellement.
Le graphique ci-contre montre clairement que la crise actuelle est avant tout liée à l’explosion de la production…
Chute de la demande causée par l’inflation
Nb : PGC FLS = Produits de grande consommation Frais & Libre Service
Dans un contexte d’inflation, la consommation des ménages se reporte partiellement des labels et de l’AB vers les marques distributeur et premier prix. Ce léger retrait cause également une baisse de la demande dans un contexte d’offre très excédentaire, ce qui aggrave les choses.
Ces deux éléments causent une baisse des prix. Par exemple, le cours du blé bio se situe aux alentours des 260 €/T. Le prix du lait bio aux alentours de 520 €/1000 l.
Seule la filière viande est peu impactée du fait qu’il n’y a pas de valorisation AB pour les animaux maigres et que les animaux gras partaient déjà pour partie en circuits conventionnels.
Des charges en hausse comme pour toutes les entreprises
Les exploitations en agriculture biologique sont également touchées par la hausse des charges provoquée par l’inflation. En revanche, l’impact est plus limité car ces systèmes, plus autonomes par nature, consomment moins de charges à unité productive équivalente, notamment en engrais et aliments. En revanche, la hausse des frais généraux et du carburant les touche malgré tout.
Chaque filière présente des spécificités
Grandes cultures : c’est la récolte 2023 qui marque le tournant en termes de prix. En effet, pour la récolte 2022, la hausse des prix conventionnels a permis de déclasser le bio en conventionnel tout en limitant l’impact sur les prix de vente et également d'écouler les stocks. En revanche, pour 2023, les stocks ont augmenté du fait de la forte baisse des prix conventionnels.
La voie de l’export à donc été envisagée mais celle-ci s’est retrouvée très limitée car l’origine France est peu compétitive par rapport aux pays de l’est. De plus, les opérateurs de la filière ne sont pas attendus après près de 10 ans d’import net. L’export ne permet donc pas d’assainir le marché et de diminuer les stocks.
Lait : le maintien de prix conventionnels élevés, notamment grâce à la baisse du cheptel laitier permet de limiter fortement la baisse des prix bio.
Au niveau des vaches allaitantes, c’est également la hausse des prix sur les broutards et sur la viande en conventionnel qui tire à la hausse les marchés bio. Par conséquent, les résultats des entreprises orientées maigre (qui vendaient en conventionnel déjà avant) s’en trouve soutenu.
Attention : dans ces 2 filières, si les prix conventionnels se rétractent, le bio en pâtira également (comme cela s’est passé pour le secteur des grandes cultures).
L'impact sur les entreprises BFC
Cultures : des prix en baisse et une problématique aiguë de trésorerie
Dans un marché saturé, les céréales ont du mal à quitter les silos, les acomptes sont « conventionnels ».
Les hausses de charges, bien que modérées, s’impactent sur des produits en baisse et se traduisent directement en perte d’EBE et de revenu disponible.
Sur les exploitations situées dans les plateaux de Bourgogne, l’EBE/ UTAF passe de 30/35 000 € en 2022 (vs 85/90 000 € en conventionnel) à 25/30 000 €, les conventionnels étant au même niveau.
Le revenu disponible pour 2023 serait situé entre 12 et 19 000 €/UTAF contre 0 à 5 000 € pour le conventionnel.
La hausse des rendements pour 2023 a permis de limiter l’impact de la baisse des prix, avec un EBE équivalent au conventionnel. En revanche, le revenu disponible atteint le SMIC en bio alors qu’il est proche de 0 pour les conventionnels.
Cela s’explique notamment par le fait que les exploitations bio ont limité les investissements, anticipant le retournement de conjoncture qui était « lisible », ce qui n’est pas le cas des exploitations conventionnelles qui ont subi des retournements de marché post crise Ukrainienne importants et soudains.
Sur les exploitations situées en zone de plaine, l’EBE/ UTAF passe de 60/65 000 € en 2022 (vs 105/110 000 € en conventionnel) à 45/50 000 €, les conventionnels étant au même niveau également.
Le revenu disponible pour 2023 serait situé entre 15 et 25 000 €/UTAF contre 20 à 30 000 € pour le conventionnel.
La hausse des rendements pour 2023 permet de maintenir un EBE et un revenu. Les conventionnels étant légèrement au-dessus.
Attention, à l’heure actuelle ces systèmes connaissent de grosses difficultés de trésorerie et les hypothèses de prix positionnées sont encore très incertaines du fait notamment des « petites » avances de prix versés.
Bovins lait : des produits et charges en hausse…
Le prix du lait pour 2023 augmente grâce à l’augmentation du prix conventionnel.
En revanche, les charges également, l’aliment notamment, malgré le fait que le prix des céréales et protéagineux baisse.
Les charges de structure restent globalement stables (légère hausse avec l’inflation).
L’EBE/ UTAF passerait de 65/70 000 € en 2022 (même niveau que les conventionnels) à 70/75 000 € (vs 50/55 000 € pour les conventionnels).
Le revenu disponible pour 2023 serait situé entre 30 et 35 000 €/UTAF contre 25 à 30 000 € pour le conventionnel.
L’EBE progresse donc grâce à la hausse des prix. L’EBE et le revenu disponible en agriculture biologique restent légèrement supérieurs au conventionnel.
Attention en revanche : une baisse des prix du lait conventionnel qui impacterait fortement celui du bio, or les fermes Bio sont plus autonomes mais moins productives.
Bovins viande
En bovin viande, l’effectif est trop réduit pour pouvoir publier des résultats mais néanmoins, les résultats seraient légèrement inférieurs par rapport aux conventionnels en 2023. Cela s’explique par une valorisation proche du conventionnel mais des charges opérationnelles supérieures (aliment notamment).
Recommandations dans ce contexte complexe
- Optimiser les options fiscales : en cas de baisse de résultat, attendu sur plusieurs campagnes à venir l’option annuelle peut permettre de réduire rapidement les prélèvements obligatoires.
- Rester en lien étroit avec les filières pour prendre les bonnes décisions de vente et d’emblavement. Malgré une baisse des prix générale des productions, certaines assurent plus de débouchés que d’autres (blé notamment)
- Réintégrer les éventuelles DEP réalisées par le passé peut permettre de consolider la trésorerie.
- Optimiser la mécanisation dans un contexte de forte hausse des prix des matériels et coûts sur des fermes qui ont, historiquement, des besoins légèrement supérieurs aux fermes « conventionnelles ».
- Ne pas avoir peur d’implanter beaucoup de têtes d’assolement légumineuses fourragères. Le manque à gagner à court terme sera réel mais cela contribuera à désengorger le marché et dans 2 à 3 ans ces surfaces produiront de bons blés en espérant que la situation se sera assainie d’ici là !
- Rester en veille sur les dispositifs d’aide qui pourraient être décidés par le législateur pour soutenir la filière. Nous serons vigilants à vos côtés également !